"De la violence des cœurs, du calme de la tempête" (roman)

Publié le par PatriciaOszvald

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Voilà le Gallagher flanqué de ces deux poissons, Michel-Ange et Picasso, ses deux nouveaux compagnons. Il avait souvent ri, tout seul, au cours de ces longues soirées en compagnie de son pote, Jack (de son nom de scène, Daniels) et attendait fébrilement l'anniversaire de l'Atlan pour lui rendre la pareille en attendant quoi, il faudrait se décarcasser pour le surprendre autant, sinon plus. Deux trois idées germèrent assez rapidement dans son esprit souvent embrumé et fantasque. Idées qu'il trouva très intéressantes, à méditer et qu'il garda sous le coude. Et puis un jour, vint l'idée. Une illumination. Une évidence. Oui, c'était la bonne. Là, il allait le cueillir, l'Atlan et pas qu'un peu. Tout, il pensa à tout, aux moindres détails. Il écrivit même une petite mise en scène, le parfait scénario. Pas de doute, l'Atlan en resterait comme deux ronds de flan. Gallagher se régalait comme jamais. Il fit consciencieusement la liste des achats à prévoir. S'impatienta aussi. Heureusement les dates de leurs anniversaires n'étaient pas si éloignées. Et puis aussi, il répéta à maintes et maintes reprises la manière de présenter le bébé. Rira bien qui rira le dernier. Arriva enfin le jour tant attendu, sans doute plus par Gallagher que par l'Atlan qui avait toujours eu une sainte horreur de tout ce qui pouvait se fêter, à commencer par les anniversaires, surtout les siens, qui étaient comme autant de clous que l'on plantait dans son propre cercueil tout en s'y installant de plus en plus certainement. Fort probablement avec la complicité bien involontaire de la secrétaire particulière de l'Atlan, le Gallagher gonflé à bloc et fort de la certitude de son tout proche succès, arriva au cabinet studieux entre deux rendez-vous, comme par un heureux hasard (mon oeil!). Il salua d'un sourire les unes et les autres, personne n'étant surpris de sa présence en ces lieux ; il y venait pratiquement tous les jours. Juste devant la porte du bureau d'Atlan, il réajusta son accoutrement, toujours aussi fantasque, prit une grande respiration, afficha son plus large sourire de vainqueur et frappa trois coups à la porte. En fait, deux, puis un dernier. Un « Oui, Gallagher » fut aboyé de l'autre côté de la porte. Artaban entra en scène sous le regard toujours plus ahuri de l'Atlan que se demandait, à chacune de leur rencontre, où l'irlandais pouvait bien dénicher des tenues d'un aussi mauvais goût. Ce à quoi, Gallagher lui répondit toujours que l'élégance et la mode étaient hors de sa portée et qu'il n'était pas apte à apprécier les belles choses.

- Albert Atlan premier du nom ?

- Euh... (il souriait niaisement)... oui !

- Bon anniversaire !

- Eh bien... merci, Allistair Neal Gallagher troisième du nom ! Mais, je te préviens ; si tu as l'intention d'être désagréable en ce jour maudit ; tu peux retourner d'où tu viens !

- Mais personne n'aurait envie d'être désagréable avec toi, Atlan. En tous cas, pas aujourd'hui ! Enfin, voyons ! Un jubilé ; ça se fête dignement !

- Tu ne peux vraiment pas t'empêcher d'être désagréable, hein ? Pas croyable, ça ! T'es vraiment une vieille chieuse, tu sais !

- C'est ça ! Fais le malin !

- Et... ?

- Eh bien, voilà... En cette occasion de ton cinquantième anniversaire (le sale gosse de Gallagher appuya bien sur le « cinquantième anniversaire » et l'Atlan remua énergiquement la tête lui signifiant ainsi de passer sur les détails désagréables)... j'ai beaucoup beaucoup, mais vraiment, beaucoup réfléchi pour que ce jour soit à la hauteur de l'événement. (Atlan était impatient et très amusé de cette introduction théâtrale). Alors, je me suis dit, parce que tu sais très bien que lorsque je m'en donne la peine, je peux me dire bien des choses et pas que des conneries (Atlan acquiesça de bon cœur). Je me suis demandé quel serait le cadeau qui te ferait vraiment plaisir ? De quoi as-tu donc besoin ? De rien, tu as tout. Que te manque-t-il ? Ma foi... à part un peu de bonté de cœur, mais ça... faudrait voir avec Sainte-Rita... (l'Atlan souriait toujours, mais la curiosité grandissait). Parce que... pour tout te dire...; je n'ai pas trouvé un seul marchand de bonté ! (l'Atlan devait être d'excellente humeur ; il éclata de rire tout en applaudissant). Alors enfin, après des nuits et des nuits et des nuits d'intense réflexion ; si, si ; tu me connais, mon copain, Jack et moi ; quand on unit nos forces ; on ne fait pas les choses à moitié... j'ai enfin trouvé... la... bonne... idée ! Tu me pardonneras cet accès d'autosatisfaction, mais je me suis dit... qu'un peu de présence fine, délicate et discrète... ne pouvait nuire à personne, même à toi... Rassure-toi ; une présence féminine, bien sûr... (L'Atlan, dont l’œil commençait à briller et les sourcils à danser, était de plus en plus impatient). Donc voilà l'idée ; je vais te présenter quelqu'un... une belle âme... douce... tendre... ondulante... caressante... et... féline à souhait.


« Hou la la... ! ». L'Atlan n'y tenait plus et manifesta clairement sa vive impatience de rencontrer cette charmante personne. Mais où est-elle ? Mais où était-elle donc cette créature de rêve ? Elle était là, tout près. Juste de l'autre côté de la porte. Gallagher indiqua d'un geste à Atlan de redresser son nœud de cravate qui avait tout l'air d'être affalé sur un zinc. L'Atlan obtempéra, fit un coup de coude au nœud de cravate qui se redressa aussitôt, ajusta son veston, un passage de mains dans les cheveux pour n'y rien changer mais avoir l'impression d'y avoir mis de l'ordre. Il était prêt pour la rencontre.


- Ah ! Gallagher, attends attends ! Tu ne m'as pas dit comment s'appelait cette divine créature...

- Oh oui, bien sûr... ce que je peux être distrait ! Mon cher ami... si, si, ne sois pas modeste ; je dirais même ; mon très très cher ami... (l'épisode des honoraires avait du mal à passer...); la demoiselle se nomme... Miss... Marple !

- Miss Marple ?

- Miss Marple !

- Bon, eh bien...

- Deux petites secondes ; je reviens !

Gallagher plus enjoué que jamais s'éclipsa du bureau et y réapparut aussitôt, un petit bagage à la main qu'il déposa sur le bureau de l'Atlan. Il fut tout surpris de ne voir personne d'autre que le Gallagher troisième du nom, fier comme Artaban.

- Albert Atlan premier du nom ; j'ai le grand plaisir – que dis-je – l'immense honneur de te présenter Miss Marple ! Très chère Miss Marple ; je vous présente mon meilleur ami, Albert Atlan !

Atlan était complètement halluciné de voir son ami parler ainsi dans le vide et lui présenter une personne qui, visiblement, n'était pas là... Il s'approcha de Gallagher, tout sourire.

- Euh... Gallagher ; y a personne..., lui murmura-t-il à l'oreille.

- Chut ! Enfin, Atlan ! Ne dis pas n'importe quoi ; tu vas la vexer !

- Non mais t'as picolé ou quoi ? Je te dis qu'il n'y a personne !

- A peine humecté mes papilles ; tu me connais ! Tu pourrais saluer Miss Marple au moins !, lui dit-il en indiquant le bagage posé sur le bureau.

C'est alors que la surprise fut à son comble. La stupéfaction générale. Car le bagage n'en était pas un. Enfin si, d'une certaine manière. Histoire de jouer sur les mots ; poursuivons... Le bagage était effectivement ce qu'il prétendait être ; et en l'occurrence, celui d'une douce... tendre... ondulante... caressante... et féline créature... Dans ce bagage... se trouvait... un chat.

- Gallagher ; tu te fous de ma gueule là ?

- Mais pas le moins du monde, Atlan ! Et ne parle pas de cette manière devant une dame ! Un peu de correction, bordel de merde !

- Dis donc ; tu ne voudrais pas que je m'extasie devant une bestiole des fois ?

- Oh ! Miss Marple ; je suis désolé, mon ami est... très sensible ! Mais vous verrez, à l'usage... on s'y fait !

- Non, mais t'es con ou quoi, toi ? Tu causes à une bestiole !

- Miss Marple est tout sauf une bestiole ; c'est une chatte ! Et maintenant, c'est ta chatte ! C'est ton cadeau d'anniversaire ! Et je te prierais d'en prendre grand soin. Tu verras dans la poche sur le côté, se trouvent son carnet de vaccination et ses papiers d'identité. Elle est enregistrée à ton nom. Tu verras, je suis certain que d'ici peu, tu ne pourras plus t'en passer. Bon, je vais m'éclipser et vous laisser faire connaissance. On se retrouve ce soir, comme prévu pour arroser comme il se doit ton demi-siècle !"

© Patricia Oszvald

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